Sur la parité dans le dictionnaire des monidalisations


Proliférante dans tous les discours de la politique et des sciences sociales, la mondialisation en devient une sorte de talisman de la pensée qui encourage les parti-pris, les idées reçues et toutes les paresses de l'esprit. Aussi, l'idée d'un « dictionnaire », d'une mise en ordre est-elle bienvenue, d'autant que l'adoption, d'emblée, du pluriel invite à la prudence, la finesse par le maniement du comparatisme, des échelles et autres méthodes chères aux géographes. Cynthia Ghorra-Gobin pose dès le départ le couple Etats-Unis / Chine comme le principal acteur des processus en cours, en montrant combien l'Europe a été, dans l'histoire, au premier plan, du brassage technologique et humain mondialisant. Elle insiste sur le rôle de l'économie de marché qui permet de reconnaître des « problèmes mondiaux comme l'accès à l'eau, l'éducation des plus démunis ainsi que la dégradation de l'environnement ». Elle rappelle, avec Jared Diamond, combien sont imbriquées les questions énergétiques et la dégradation de l'environnement dans la compréhension des conflits comme celle qui s'est déroulée en Afrique orientale, si l'on suite la thèse de Diamond. En liant ces processus à la mise en place d'une pensée et d'une action du développement durable depuis 1987. D'où le caractère transdisciplinaire de cet ouvrage qui met en avant « l'ambiguïté sémantique face au paradigme de la supra-territorialité » : internationalisation (qui souligne l'intergouvernemental) et globalisation faisant plutôt référence au supra-national ou transnational. D'où le soin de ne pas se laisser abuser par des indicateurs « classiques » mais d'étudier le rôle capital de la borderless economy (convergence de règles institutionnelles mises en place par des agences privées de régulation). D'où aussi, l'attention à formuler tous les fondamentaux de la gouvernance, pour mettre en valeur « l'impératif d'une inventivité » politique nécessaire pour piloter un tant soit peu le capitalisme. A ce titre, l'apport des mouvements altermondialistes est incomparable pour souligner le divorce entre ce que Daniel Cohen décrit comme le pouvoir des images étalant la richesse, créant des besoins et des désirs d'une part, et la pauvreté, voire la misère, grandissantes partout. 85% des hommes dans le monde se partageant 20% de la richesse, c'est là une situation inacceptable sur le plan moral et que tentent de faire évoluer, tant bien que mal, les organisations internationales, gouvernementales ou non.

 

L'idée de dépasser l'image du clash des civilisations qui a, quasiment partout, été analysé comme un fantasme peu sérieux de Samuel Huntington prend corps dans l'étude du conflit des valeurs. Non seulement pour dépasser la question posée par l'émergence des fondamentalismes, mais pour chercher, comme Marcel Detienne le pensait, « la multiplicité des racines culturelles de nos valeurs ». Ce qui pousse les auteurs à prendre leur distance avec l'idée que les mondialisations en cours seraient un avatar d'une occidentalisation toujours plus poussée. Cela conduit à penser la question des migrations, et plus spécifiquement, des migrations de travail. En se faisant le relais des solutions encouragées par Kofi Annan (comme les migrations temporaires), les auteurs entrent dans des débats complexes mais essentiels sur les liens entre la misère et la violence, plaidant pour une gouvernance « favorisant la quête d'une planète relationnelle ». Pas dans le cadre d'un « système Monde », mais dans le jeu entre des espaces territoriaux et des espaces globaux, un « espace public » à inventer. Ce dictionnaire offre des entrées classiques (agriculture, économie, drogue, Etats-Unis...) qui sont toutes suivies d'essais, fortement problématisés qui sont autant d'échos aux questions que se posent les lecteurs en lisant les entrées. On fera son miel de questions redoutables sur lesquelles travaillent, depuis des années, les chercheurs sollicitées par C. Ghorra-Gobin : « Sommes-nous encore des habitants de la Terre ? » (A. Berque), « Médicament et mondialisation : un zeste d'imposture » (A. Bernheim)... On peut regretter une propension au dualisme, sans doute très prisé à Sciences-Po, pépinière d'hommes politiques auxquels on apprend à osciller dans les débats : « France : de l'avant-poste à l'arrière-garde ? » ou encore « Médias : vecteurs d'émancipation ou de domination », etc.). Mais ces questions sans fin n'enlèvent rien au travail de fond qui est mené ici, qui fait honneur aux géographes souvent inféodés à l'histoire sur ce thème des mondialisations.

 

Compte rendu : Gilles Fumey